Aimer pour semer


Quelques réflexions sur les vocations

 

 

Aspects généraux

1) Il n’y a pas de solution magique ou de technique efficace

En préambule, il me semble important de situer la portée de ces réflexions et de partager une conviction fondamentale en matière de vocation : il n’existe pas de formule magique pour faire naître des vocations. C’est une observation pragmatique et croyante : s’il existait un moyen sûr et efficace d’assurer constamment un clergé suffisant à l’église, l’Esprit Saint nous l’aurait enseigné depuis bien longtemps ! La question des vocations est beaucoup trop complexe pour être résolue de manière simpliste par un slogan ou une initiative. C’est pourquoi je me méfie des solutions « clé en mains ». Cela dit, il ne faudrait pas en déduire pour autant, qu’il n’y a rien à faire … bien au contraire !

2) Aborder la question de manière spirituelle

La pastorale des vocations ne doit pas être abordée d’abord de manière stratégique mais de manière spirituelle : il s’agit de recevoir et de favoriser le don et l’appel de Dieu. Pour cela, une réflexion sur la pastorale des vocations doit s’enraciner dans la prière et la méditation de la Parole de Dieu. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de me laisser guider dans mes réflexions par la parabole du Semeur (Mt 13, 1-25) qui m’a semblé bien appropriée à la démarche.

Mais cela signifie aussi que les moyens « surnaturels » de la pastorale des vocations ne doivent pas être omis. Ils sont même les premiers à mettre en œuvre. Il n’est pas sûr que la prière pour les vocations soit bien répandue dans le diocèse. Quand elle existe, il s’agit d’initiative personnelle et limitée. Peut-être serait-il opportun d’organiser, à l’échelle du diocèse une prière (neuvaine par exemple) pour les vocations … et cela pas seulement de manière ponctuelle. En la matière, je me demande si nous n’avons pas un peu oublié « la primauté de la grâce » à laquelle Jean Paul II nous invitait dans sa lettre sur le Troisième millénaire.

Sur l’appel

Entrons maintenant dans la lectio et la meditatio de la parabole du semeur. Bien sûr le semeur c’est le Christ, mais cela n’exempte pas l’église de semer … bien au contraire. C’est même le rôle de l’Eglise que de manifester et signifier le rôle et l’action du Christ. Si Dieu appelle, nous pouvons nous demander dans quelle mesure l’Eglise elle-même appelle aujourd’hui ?

 

 

3) Est-ce que l’Eglise appelle ?

Il y a peut-être une certaine timidité à appeler aux vocations. Cet appel peut se décliner de différentes manières. La première et la plus évidente, c’est la parole ! Il faut sans doute une parole pour l’ensemble (de type homélie, texte …) qui s’adresse à tous. Mais il y a aussi une parole personnelle à dire. Demander à tel ou tel de penser sérieusement à la vocation sacerdotale ou consacrée. On ne peut pas exclure la médiation individuelle dans l’appel à la vocation.

4) Le ministère presbytéral est-il désirable ?

L’appel se fait aussi de manière indirecte, car la parole personnelle ne suffit pas. Cet appel indirect peut se faire de manière « positive » en vérifiant que la vie du prêtre est désirable. Il y a certainement à se poser ici la question du statut et de la perception du prêtre. Je ne voudrais pas que ces lignes soient comprises de manière polémique, mais le manque de vocation sacerdotale autorise que l’on s’interroge sur l’image que l’on donne de la vie presbytérale.

Certes les prêtres doivent être heureux de leur vie … mais le bonheur ne se décide pas et si les prêtres ne sont pas heureux, on doit en rechercher les raisons. L’institution ecclésiastique, au nom des exigences de sainteté, bien naturelles et légitimes, ne laisse-t-elle pas planer un climat de suspicion sur les prêtres ? Ce n’est pas en dénigrant – même involontairement – les prêtres que l’on attirera des vocations ! Par ailleurs, ce sont tous les chrétiens qui ont une responsabilité dans cette démarche. La première image du prêtre que les jeunes ont, est celle que donne leur famille.

5) Avons-nous besoin de prêtres ?

L’appel au ministère se fait aussi en creux, en affirmant que le rôle du prêtre est nécessaire à l’église et que l’engagement de nouvelles personnes dans ce ministère est urgent. Il me semble qu’il peut y avoir deux obstacles à cet appel en creux :

D’une part, le discours qui laisse croire que le ministère sacerdotal n’est qu’accessoire à l’église. Ici, peut-être faut-il vérifier que la valorisation légitime du laïcat ne s’est pas faite aux dépens du ministère presbytéral. D’autre part la recherche à tout prix de solutions pour assurer les fonctions sacerdotales n’est-elle pas un moyen de nier ou de cacher une pauvreté que l’on ne veut pas assumer. Si l’on ne clame pas que l’on a besoin de prêtre, il ne faut pas s’étonner que les vocations ne naissent pas ! Encore faut-il que ce besoin soit crédible. Lorsque le nombre de prêtre dans une paroisse augmente, comment croire qu’il nous manque des prêtres ? Tant que des solutions sont trouvées, il n’y a pas de véritable besoin.

6) Appelle-t-on à la vocation sacerdotale ?

Le semeur est sorti pour semer … mais que sème-t-il ? Il se pourrait en effet que l’on sème autre chose que du grain. Je ne crois pas que ce soit de volonté délibérée et malveillante, mais il faut vérifier qu’il n’y a pas de confusion maladroite ! Peut-être que le discours vocationnel en se faisant plus général a noyé dans la multitude des vocations l’appel spécifique à la vie consacrée et au ministère presbytéral. Au nom de très bonnes intentions et d’attentions bien louables on refuse parfois d’aborder explicitement le rôle du prêtre, ou bien il est présenté au milieu d’autres choix, comme une option comme une autre. Il ne s’agit pas, évidemment, de nier la liberté des jeunes qui se présentent, ou d’anticiper les temps de maturation, mais la claire définition du projet est une aide véritable à la décision !

7) Qui appelle et comment ?

La question subsidiaire à ce stade de notre réflexion est de savoir qui appelle ? L’évêque ? Les prêtres ? Les familles ? Les mouvements ? Il me semble que personne ne peut s’exempter du ministère sacerdotal, et que donc personne ne peut se dispenser de l’appel. Mais cet appel sera différent selon le rôle des personnes. Une pastorale des vocations doit pouvoir permettre à chacun d’appeler au presbytérat, chacun selon son espèce … Les discours trop généraux qui mettent tout le monde dans le même panier sont condamnés à être de pieuses incantations aux dépens de la pertinence opérationnelle.

 

Sur le terrain dans lequel arrive l’appel

Cependant, notre réflexion ne peut pas s’arrêter au fait de semer. La parabole continue en nous invitant à considérer le terrain. Ce n’est pas parce que le grain est semé correctement qu’il va germer, encore faut-il considérer le terrain dans lequel il tombe. Cela va nous donner de nouvelles interrogations.

8) Qui comprend ce qu’est un prêtre ?

La première chose, c’est d’éviter que le grain tombe sur le chemin. Le chemin n’est pas un terrain adapté à recevoir le grain. Il est adapté à la marche, non pas à la germination. Il est un terrain où le grain ne s’enfonce pas et où les oiseaux viennent s’en nourrir. Jésus dit qu’il s’agit des cœurs qui entendent la parole sans la comprendre.

Ici se pose pour nous une question un peu cruciale. Quels sont les jeunes gens qui sont capables de comprendre ce qu’est une vie sacerdotale ? Quand leur vie ecclésiale se réduit à quatre ans de catéchisme à l’age de l’école, catéchisme souvent réduit à une heure par semaine … les maigres « messes des familles » mensuelles, quand elles ont lieu ne permettent certainement pas de comprendre ce qu’est le rôle du prêtre ! Il n’y a rien d’étonnant à ce que le taux de vocations sacerdotales soit proportionnel au taux de pratique … et l’on pourrait même ajouter de pratique familiale. En tout cas de pratique aux moments où se font les grandes décisions de la vie. Parfois certaines solutions permettent de suppléer au déficit de vie ecclésiale familiale … c’est ce qui a fait la force d’un certain nombre de mouvements et de propositions, où les prêtres partagent des temps significatifs de la vie des jeunes – à condition bien sûr que le prêtre aie un rôle sacerdotal … dont les trois composantes sont d’enseigner, de sanctifier et de gouverner. Quelques idéologies et pratiques ont parfois limité l’exercice de l’une ou l’autre de ces fonctions, présentant un visage un peu bancal du ministère.

9) Quelle vie spirituelle ?

Ensuite, il y a des terrains où il y a trop de roches et pas assez de terre. Le grain lève mais il se dessèche au soleil, faute de racines. Jésus dit qu’il s’agit de l’homme qui n’a pas de racine, qui est l’homme d’un moment.

La vocation ne peut donc s’enraciner, et mûrir que dans un cœur qui a une vie spirituelle profonde. Si la vie religieuse n’est qu’une question d’émotion et d’affectivité, il y a fort à parier que la vocation ne tiendra qu’un moment. Cela nous interroge sur le type de pastorale que l’on propose. Non pas seulement des activités très fortes en émotions mais des occasions de durer. La foi ne peut pas se réduire seulement au « plaisir » ou à l’utilité que l’on en retire. Elle comporte nécessairement un caractère d’obligation et de devoir. De plus il faut du temps pour mûrir une vocation. On devrait s’interroger un peu plus sur le fait que l’église demande à ce qu’on n’admette pas un néophyte au séminaire !

10) Le lien au monde ?

Enfin le dernier danger qui menace le grain en terre, c’est qu’il tombe au milieu des épines qui montent et étouffe le grain. Jésus dit qu’il s’agit de celui qui est accaparé par le souci du monde et la séduction de la richesse.

On pense, bien sûr au paysage culturel actuel qui ne facilite pas les valeurs à même de favoriser une vocation sacerdotale. L’exaltation de la sensualité, la richesse matérielle comme idéal de vie étouffent les vocations au profit de la vie de couple (plutôt que de famille) et le choix de carrières lucratives. C’est l’une des explications pour lesquelles les milieux « alternatifs » ou « séparés » de la culture actuelle sont des lieux où fleurissent des vocations religieuses. Pourtant il faut rester vigilant au fait que, parfois les épines se rencontrent plus tard : quand la préservation des soucis du monde se fait dans un monde autonome, le retour à la réalité est parfois douloureux. Il faut trouver un équilibre entre la nécessaire liberté par rapport au monde et une certaine « schizophrénie sociale ».

Conclusion

J’ai essayé de balayer un ensemble de domaines et de questions qui peuvent aider à réfléchir à une pastorale des vocations. J’ai cherché à ne pas proposer trop rapidement « des solutions » parce que je suis convaincu que ce n’est pas un slogan, une initiative ou l’effort d’une catégorie seulement de personne qui résoudra le problème. Il me semble toutefois que les questions posées peuvent aider à proposer un ensemble d’initiatives qui – avec le temps – aideront à réduire les nombreux obstacles à la vocation sacerdotale.

Charles Mallard +

11 novembre 08